Jean-Marie Charon est sociologue des médias. Il analyse les questions de déontologie que soulève la publication par le site Buzzfeed d’un document explosif de 35 pages sur les liens entre le président élu et la Russie, mais qui n’a pas été vérifié.
Buzzfeed a publié mardi un document de 35 pages qui révèle des informations compromettantes sur les liens entre Trump et le Kremlin. Mais aucune information n’a été vérifiée, à l’inverse de ce que prévoit la déontologie journalistique. Cela vient-il alimenter la perte de crédibilité des médias ?
C’est un problème que l’on retrouve souvent en matière de journalisme d’investigation lorsque des documents parviennent à la rédaction ou que la rédaction arrive à accéder à un document via différentes sources. Que faut-il en faire ? Faut-il le publier ou pas ? Ici, vue la nature du document en question, on ne voit pas très bien comment une rédaction, avec les moyens qui sont les siens, pourrait facilement valider les informations. En général, lorsqu’une rédaction décide de publier ce type de document, cela intervient dans une démarche journalistique plus large, avec un cadre d’enquête particulier, des éléments qui permettent de crédibiliser, malgré tout, la nature du document. Or cela n’apparaît pas avec Buzzfeed, pour qui il semble que le contenu de ce document, par son caractère explosif, justifiait de le publier tel quel. Sur le plan de la déontologie, c’est extrêmement fragile. D’autant plus que les documents auxquels accèdent les journalistes d’enquête leur sont souvent fournis avec des arrière-pensées de la part de leurs sources, qui souhaitent étayer une thèse, orienter l’enquête dans telle direction ou justifier un certain type d’hypothèses qui vont jouer un rôle dans le débat public. Ici, vu le contexte politique, le moment où c’est publié – à quelques jours de l’entrée en fonction de Donald Trump – et venant, apparemment, d’un courant qui ne lui est pas favorable, plus qu’une question de déontologie, c’est une question d’instrumentalisation. Et un média peut-il accepter de se faire instrumentaliser de cette façon-là ?
Buzzfeed a justifié ce choix dans un souci « d’être transparent » vis-à-vis de ses lecteurs…
Cet argument n’est pas valable. La transparence a toujours été une idée à utiliser avec beaucoup de précaution. Quand le journalisme d’investigation s’est développé en Amérique du Nord avec des affaires comme le Watergate, ce thème de la transparence a été utilisé. Il en a été de même en France avec les affaires politico-financières des années 1980-1990. Mais on a rapidement compris qu’il fallait adjoindre à cette transparence, la notion d’intérêt général.